Chansons du Fouta

Fouta

En écoutant une radio locale (Nannk Fm), un jeune s’écrie : «Ecoutez ce chanteur reprendre une chanson de Baba Maal ! Mais comment peuvent-ils faire carrière avec ça ?» Et le chanteur c’était Demba Ndiaye Ndilaan et la chanson, hiri hiri. Ce chant est l’un des nombreux chants traditionnels du Fouta repris par Baba Maal. Ce jeune et la plupart des jeunes de sa génération qui ont connu ces chants avec le lead vocal du Dandé Léñol, ignorent qu’en fait, le natif de Podor n’est pas l’auteur de ces chansons et n’est même pas le premier à les reprendre, même s’il a participé à les rendre populaires. Les corvées d’eau au puits du village, les réunions autour du mortier et la recherche de bois mort ont laissé la place au moulin à mil, au robinet à domicile et à l’usage du gaz butane. Cet allégement des travaux des femmes à la maison est en partie responsable de la déperdition des chants traditionnels du Fouta. Des chants qui, pour la plupart, ont été créés par des jeunes filles et des femmes.

Des chants aux messages hautement codés
Les chants comme Wango, Hiri hiri, Mbaay ou Thiayo ont une portée moralisatrice que seuls les initiés connaissent. Ainsi, Wango, dérivé du verbe «wangadé» qui signifie tourner, est une chanson qu’une belle-sœur, en pilant le mil, a dédiée à son frère et sa femme. Un frère qui, au moment de prendre congé de sa femme pour l’émigration, lui promet qu’à son retour, il lui offrira un billet pour le pèlerinage à la Mecque. Mais celle-ci tomba enceinte d’un autre homme. La sœur, voulant faire comprendre l’accident, déclamait «wango wangandé hadima yaadé Ala débbo réddou wawa wangandé» (la promesse des tours de la Kaaba ne sera pas possible car une femme enceinte n’est pas apte au pèlerinage). Hiri hiri est un autre chant de bravoure que les femmes ont dédié au guerrier et au champion de lutte. Pilon à la main pour dompter sa fatigue, la femme du Fouta avait l’habitude de fredonner le chant des émigrés «wala fendo» (neige en pulaar) pour le frère, le cousin ou le mari parti en Occident. Mbaay est un chant de femme en réplique aux vieillards qui décriaient les chants des femmes allant jusqu’à dire qu’elles manquaient de pudeur. Dans Mbaay, on entend : «Les vieillards disent que Mbaay est illicite. Mais l’illicite, ce sont les clans dans la mosquée. Des vieux comme vous se battent et sèment le désordre.» Thiayo Ndella olel est un chant caricatural dédié aux jeunes filles nouvellement mariées. Thiay étant une interjection pour appeler une chèvre et Ndella, étant les papilles de la chèvre. Or, la jeune fille nouvellement mariée porte des amulettes de couleur jaune autour de son cou qui sont appelées Ndella olel. Ces chants traditionnels tirés de la longue liste du patrimoine de chants foutankés ont permis l’enrichissement du répertoire des chanteurs originaires de la région et parfois les ont bien inspirés.

Des chants traditionnels, l’essentiel du répertoire des chanteurs originaires du Fouta
Wango, hiri hiri, wala fendo, thiayo, mbaay, bouyel, pour ne citer que ces chansons repris par les chanteurs originaires du Fouta, appartiennent au vaste patrimoine des chants traditionnels halpulaar. Et Sidi Baylel, Baba Maal, Athia Wélé, Ousmane Hamady Diop, Demba Ndiaye Ndilaan, Founébé Fouta et les nouveaux venus en ont fait usage dans de nombreuses chansons, et ils continuent de puiser dans cette source qui résiste à l’épuisement. Les chansons comme Diahowo, Thiayo, Wango et beaucoup d’autres se sont ajoutées aux chants Gawlo popularisées par Baba Maal pour donner une dimension épique au répertoire du lead vocal du Dandé Léñol et aux nombreux chanteurs originaires du Fouta. Aujourd’hui, les femmes ayant «perdu» la voix, ce sont Baba Maal et les autres chanteurs originaires du Fouta qui assurent la promotion de ces chants traditionnels.

Allégement des travaux domestiques : des effets sur la promotion des chants traditionnels
De plus en plus, les travaux domestiques sont allégés pour les femmes. Piler le mil, puiser de l’eau au puits, chercher un fagot de bois sont d’une autre époque. Toutes ces activités de femmes au foyer étaient accompagnées de chants traditionnels. Mais la floraison de moulins à mil, de robinets à domicile et l’utilisation du gaz pour la cuisine ont fini d’alléger les travaux domestiques. Un allégement de travaux qui est bien sûr du goût des femmes, mais aux conséquences insoupçonnées. Ainsi, beaucoup d’occasions qui favorisaient la créativité et l’élargissement du riche patrimoine traditionnel folklorique du Fouta, ont considérablement diminué. Les occasions pour chanter sont devenues très rares. Consé­quence : les artistes sont aujourd’hui les gardiens de ces traditions.


Le Quotidien, 17/03/23 – Patrimoine – Chansons du Fouta : La modernité sonne le glas du folklore