L’île des Faisans dans le Pays basque

(M.Fontaine, Geo.fr, 07/07/22) – C’est une minuscule langue de terre dans le Pays basque, une île de 200 mètres de long posée au milieu du fleuve Bidassoa, la frontière naturelle entre la France et l’Espagne. L’Île des Faisans, aussi appelée Île de la Conférence, n’est pas ouverte aux visiteurs – à part quelques arbres et une stèle en pierre, il n’y aurait, de toute façon, que très peu à voir. «Il n’y a pas de faisans dans l’île des Faisans, qui n’est qu’une façon de plateau vert», regrettait Victor Hugo dans le deuxième tome de ses Voyages, seulement «une vache et trois canards». Stendhal ne s’émeut pas plus de cette «île couverte de gazon qui sort à peine de deux pieds hors de l’eau».

Cette touffe de verdure, coincée à dix mètres des rives espagnoles et vingt mètres des françaises, possède pourtant une particularité unique au monde. C’est un condominium – qui plus est le plus petit du monde, un territoire sur lequel plusieurs États exercent une souveraineté conjointe. L’Île aux Faisans est administrée alternativement par la France pendant six mois, du 1er août au 31 janvier, puis par l’Espagne pour les six mois suivants.

Et ce, depuis 1856 et le traité de délimitation de la frontière franco-espagnole, dont l’article 27 prévoit que «l’île des Faisans, à laquelle se rattachent tant de souvenirs historiques communs aux deux Nations, appartiendra, par indivis, à la France et à l’Espagne».

Fait d’autant plus insolite que l’île est gouvernée par les commandants de la marine de la région, appelés vice-rois (oui, même en France !). «On s’appelle vice-roi par effet miroir à notre homologue de Saint-Sébastien qui, lui, est bien vice-roi de son roi», note au Monde Boris Solin, commandant de la marine à Bayonne de 2011 à 2013, et donc vice-roi de l’Île des Faisans durant cette période. «En France, on est vice-roi d’un président».

Échange de prisonniers, de princesses et traité de paix… L’histoire rocambolesque de l’île des Faisans
Au fil des siècles, ce dépôt d’alluvions de la Bidassoa, somme toute banal, est devenu le symbole de la rivalité mais aussi du dialogue entre la France et l’Espagne. L’Île des Faisans est le théâtre de nombreuses rencontres entre des diplomates des deux nations.

C’est aussi sur cette île que François 1er, prisonnier de Charles Quint, est échangé contre ses deux fils aînés, le 15 mars 1526. Quatre ans plus tard, nouveau tour de passe-passe : les enfants de France, accompagnés d’Éléonore de Habsbourg sont échangés contre deux millions d’écus, rappelle la Bibliothèque nationale de France. Près d’un siècle plus tard, c’est au tour des fiancées royales d’être échangées pour sceller l’alliance franco-espagnole – la fille d’Henri IV, Élisabeth de France, fiancée de Philippe IV d’Espagne, et la sœur de ce dernier, Anne d’Autriche, promise de Louis XIII.

Mais il faut attendre 1659 pour qu’advienne la véritable consécration de l’île, quand y est signé le traité des Pyrénées, qui a mis fin à des décennies de guerre entre la France et l’Espagne et a établi la frontière actuelle entre les deux pays. Une vingtaine de conférences préalables au traité de paix mais aussi au mariage entre Louis XIV et Marie-Thérèse d’Autriche se tiennent alors sur l’île. En 1861, cinq ans après le traité de Bayonne qui a défini le régime territorial particulier de l’île, la reine Isabelle d’Espagne et Napoléon III font ériger un monument commémoratif au traité des Pyrénées et à la paix entre les deux nations. La fameuse stèle en pierre.

M.Fontaine, Geo.fr, L’île des Faisans dans le Pays basque, six mois française, six mois espagnole